Laurent FABIUS

Publié le par citoyen 52

Interview dans le Monde - 27 juin

Comment jugez-vous l'action de Nicolas Sarkozy ?

Ce qui caractérise ce nouveau régime, c'est que le même dirigeant est à la fois président de la République, premier ministre de fait, et à vrai dire ministre de tout. Il s'occupe de tout, contrôle tout. Quel sera le statut réel du Parlement dans tout cela? Mystère. L'autre trait du régime, c'est la domination de la finance, avec une répartition très inégalitaire.

Ces deux caractéristiques du nouveau régime, l'"omnipouvoir" et l'"omnifinance", risquent de constituer à terme les points faibles du chef de l'Etat. Sur le plan économique, les critiques portées contre la TVA antisociale, le refus d'un coup de pouce au smic, les avantages fiscaux aux privilégiés, le recul des moyens alloués aux services publics, commencent à être vécues, donc entendues.

Je ne crois pas qu'on puisse augmenter durablement la croissance française en ne soutenant vraiment ni la demande ni l'offre, tout en cumulant les déficits. Bref, il va y avoir des rendez-vous.

Pensez-vous, comme une partie de vos amis au PS, que l'élection présidentielle était "imperdable" ?

Rien n'est jamais gagné à l'avance, mais je crois, oui, que la victoire était possible. M. Sarkozy a été élu en définitive sur un critère décisif : il a été jugé plus capable de présider le pays que Ségolène Royal. Nous avions de solides atouts. Quand notre candidate a été désignée par les militants, elle remportait jusqu'à 55 % des suffrages dans les sondages et ceux-ci ont d'ailleurs pesé lourd dans sa désignation. Il est malheureux qu'à l'issue de la campagne, le score soit tombé à 47 %.

Il faut expliquer cet échec, non le nier. Car, d'une part, le bilan du gouvernement sortant était jugé médiocre et le candidat de droite en était le pivot; d'autre part, le moment était favorable à la gauche, si l'on en juge par les mobilisations sociales puissantes de la période et les thèmes prioritaires dans la population – emploi, école, logement, santé, environnement. Enfin, le précédent de 2002 garantissait un vote utile en faveur du PS.

Finalement, seul ce dernier aspect a joué. Un triple déficit est apparu : présidentialité, crédibilité, collégialité. On ne gagne pas une élection présidentielle en demandant à chacun ce qu'il ou elle veut, mais en proposant une vision, un dessein capables de faire progresser la France et les Français, tout en convainquant qu'on est soi-même capable de les conduire.

Mme Royal estime ne pas avoir été soutenue dans son propre parti…

Notre candidate a plutôt choisi de tenir à l'écart les principaux responsables socialistes. Ce fut sa décision. Pour ma part, j'étais totalement disponible et je le lui ai dit. Je suis préoccupé par l'atmosphère délétère qui règne parmi les dirigeants socialistes. Les électrices et les électeurs, les militants, en sont furieux, et je les comprends.

Pour ma part, je continuerai à me tenir à l'écart des déclarations quotidiennes contradictoires des uns et des autres. Je serai un sage actif.

Qu'est-ce qu'un sage actif ?

Le pays et la gauche ont besoin de responsables qui essaient de proposer des réponses aux grandes questions du monde, de l'Europe et de la France, sans être broyés par les papillonnages du quotidien ou la passion du marketing. J'ai la chance d'être en forme, de posséder une assez forte expérience, de me trouver à l'écoute de la population, comme l'a montré notamment la campagne législative. Je veux faire profiter de tout cela, en jouant collectif.

Vous avez été le parrain de la proposition du smic à 1500 euros critiquée par Mme Royal. Le mot d'ordre "travailler plus pour gagner plus" de Nicolas Sarkozy n'a-t-il pas été plus efficace ?

Ce dernier slogan ne correspond à aucune réalité concrète, mais, faute d'avoir été démonté par la gauche, il a joué un rôle sensible dans l'élection. Si j'avais eu fortement la parole, peut-être aurais-je pu, avec d'autres, contribuer à sa démystification. Après tout, j'ai débusqué l'affaire de la TVA antisociale en quelques minutes, un dimanche soir à la télévision, et cela n'a pas été inutile, paraît-il, pour l'élection de plusieurs dizaines de députés de gauche !

Mais allons plus au fond : ce genre de déclarations sur le smic pose deux problèmes. D'abord, faut-il donner un coup de pouce aux bas salaires ? La droite répond non, la gauche répond oui, pour des raisons à la fois de justice sociale et de soutien à l'activité économique.

Se pose une deuxième question, celle de la sincérité en politique. On peut être partisan ou adversaire de l'augmentation du smic, mais si on affirme lors d'une élection être favorable à son augmentation, et qu'on déclare ensuite qu'on n'y croyait pas, cela devient un problème de nature quasi éthique et suscite un doute sur l'ensemble des propositions qu'on défend.

Publié dans Articles de presse

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